
Dans le cadre du cours Grammaire et Stylistique de L3 (semestre 1 2024-2025), les étudiantes et étudiants de Mme Payen de la Garanderie ont produit des pastiches littéraires. En voici un florilège. Saurez-vous retrouver l’œuvre pastichée ?
Pastiche de Laura Haddadi
Éveil du lotus immergé
Dans le creux de la vallée, j’ai cherché à offrir ma vie à l’eau — (à l’eau pure, celle qui veille et murmure, peut-être déjà prête à répondre à la nuit passée). Là, au centre du lac, un lotus dort, fragile
éclat, bercé dans un miroir de soie liquide. Je m’y glisse, corps tendu vers le fond, dans cette coupe mouvante que la nuit offre à l’aube.
Le lotus s’ouvre lentement, chaque pétale exhale une mémoire enfouie. Le premier, brûlant comme un souffle ancien, me ceint le cœur d’une étreinte de cendre. Puis vient l’eau, limpide et douce, qui
coule sous ma peau et ranime mes veines d’un feu nouveau.
Je tourne sur moi-même, bras ouverts, comme un astre dans un ciel noyé. L’eau frémit, elle ondule autour de moi, sinueuse et vivante. Une lumière pâle s’élève du centre du lotus — elle découpe dans l’ombre un chemin d’argent, un seuil où renaître
Bois, ô fleur éclose, que je sente jusque dans ma chair ce frisson de l’onde où l’aube se pose. Que le jour se lève ! Que mon corps lavé d’hier se reflète, léger, sur le miroir changeant des eaux. Un souffle chaud fend la brume : c’est le premier éclat du jour, et je me lève, l’eau sur ma peau comme un vêtement d’éternité.
Sous mes pas, les cendres tombent en silence, dissoutes. Je marche, moi aussi, plus que jamais vivante.
Ne reviens pas. Je suis lasse, la nuit me dévore.
Ton absence me prend comme un froid au matin.
Je ne cherche plus rien, j’ai fermé mes ports,
Et qui frappe à mon cœur, n’éveille que chagrin.
Ne reviens pas.
Ne reviens pas. J’apprends à traîner mes blessures,
À marcher sans éclat, sans l’éclat de tes yeux.
À rester sous la pluie, préférer la morsure
De la vie sans lumière, l’amour malheureux.
Ne reviens pas.
Ne reviens pas, j’ai peur, j’ai peur de tes mensonges,
Qui rôdent dans ma tête, insensés, revenants.
Ne pose pas ta main, ni l’ombre de nos songes,
Sur le cœur épuisé que tu as fait mourant.
Ne reviens pas.
***
Pastiches de Zoé Rochette
Poésie en prose avec l’isotopie de l’eau
Écume des âmes
Sous un ciel où les étoiles scintillent comme des perles dispersées, une femme marche sur le rivage d’une mer agitée. Ses pas effleurent le sable humide, dessinant des empreintes éphémères
que le ressac s’empresse d’effacer. Elle avance, et derrière elle, le monde se dissout tel une aquarelle sous la pluie.
Elle l’attend. Depuis toujours, semble-t-il. Son amour a la douceur d’une vague et l’insaisissable puissance d’un courant marin. Elle ne sait plus s’il est un souvenir, une promesse ou
une chimère. Elle sent simplement qu’il est là. Elle s’agenouille, les mains plongées dans l’eau glacée. Le contact la brûle autant qu’il la réconforte. Son reflet vacille dans les ondulations, se brise,
puis se reforme. Elle ne se reconnaît pas. Ses yeux sont deux abysses, ses cheveux des algues enchevêtrées. Elle est devenue une créature de l’eau, à la fois étrangère et intiment liée à cette immensité mouvante. Un jour, il était là. Elle se souvient de ses yeux : des lacs profonds, aux reflets changeants, où elle avait cru un jour se noyer. Ses mains, lorsqu’il la touchait, avaient la légèreté d’un filet de pluie et la chaleur d’une source en été. Ensemble, ils avaient dansé sous des cieux tourmentés, leur amour ondulant comme un fleuve insoumis.
Mais le temps, ce cruel marin, avait détaché leur barque commune. Et lui… il s’était laissé emporter. Elle se redresse et plonge dans les flots. L’eau l’accueille comme une amante. Chaque
mouvement la rapproche de lui, ou de l’idée qu’elle se fait de lui. Elle nage puis s’arrête. Suspendue dans l’eau, elle n’est ni sur terre ni tout à fait ailleurs. Elle est entre deux mondes, là où les
souvenirs et les rêves se confondent. Soudain, elle le voit. Pas son corps, non, mais une ombre lumineuse, une présence. Il est là, à portée de main, et pourtant infiniment loin. Il lui sourit, mais
son sourire est fait de marées : il vient, il part. Elle tend le bras vers lui. Leurs doigts se frôlent, et à cet instant, le monde entier s’efface. Il ne reste que l’eau. Le rivage reste désert, mais si vous prêtez
l’oreille, vous entendrez leur amour. Un amour liquide, fluide, éternel. Une histoire qui s’écrit et se réécrit, à chaque battement de l’eau contre les rochers.
Poésie en vers libres, thème jour/nuit
De l’Aube au Crépuscule
Il y a lui, l’enfant du crépuscule.
Un garçon né des ombres et du silence.
Ses cheveux sont des nuages d’encre et ses yeux,
Des étoiles perdues dans l’infini.
Il marche sans bruit,
Comme une nuit qui glisse entre les arbres,
Sans jamais se faire entendre, sans jamais vraiment exister
qu’en secret.
Elle, elle est l’aube.
Elle est la première lueur,
Le souffle chaud du soleil sur la mer.
chaque rayon est une caresse, chaque sourire un éclat d’or.
Et chaque soir,
lui s’éteint,
quand elle éclate dans l’univers de ses bras dorés.
Seulement, parfois, dans ce vide entre eux,
ils se frôlent,
comme des vagues qui se touchent sans se fondre ou comme des ombres qui s’effleurent,
Lui, il s’efface, il disparaît,
et elle, elle brûle tout autour.
Dans cette danse infinie,
elle éclaire son visage,
et il la cache,
la protège,
comme un secret.
Un jour, peut-être, ils se fondront dans la couleur d’un ciel qui n’aura
ni lueur
ni ombre,
Le temps d’un instant, un souffle, un baiser.
***
Pastiches d’Emma Gardie
Sonnet amoureux incluant une image végétale
Cupidon a deux traits créant l’amour.
L’un chasse l’affection, l’autre la crée :
Phébus touché d’une flamme altérée,
Daphné ne peut point l’aimer en retour.
Il la poursuit de nuit comme de jour,
Désirant tant cette beauté sacrée.
Daphné brisée, vers les eaux du Pénée,
A accouru pour obtenir secours.
La nature et le dieu la firent naître :
Nymphe que nul ne pourra reconnaître.
Une écorce étreint un sein délicat,
Ses bras sont rameaux et ses pieds, racines,
Ses longs cheveux, feuillage qui fascine
De ses attraits ne reste que l’éclat.
Poésie en prose
Je marchais sur la voie menant au soupir fluctuant de ma maison d’enfance. Je tentais d’extraire les souvenirs encore immergés sous l’eau glacée. La douleur émanant de mes extrémités commençait à se répandre éteignant la cheminée de mon foyer. L’eau que contenait mon corps s’évapora en des fragments vaporeux ; je ne pouvais plus laisser mes larmes me guider, le givre m’aurait aveuglé. Mes billes perdaient bientôt leurs paupières ; j’aurais dû laisser mes larmes me noyer.
***
Pastiches de Selma El Hayari
ELVIRE
Écoutez donc, Seigneur, le soupir innocent
De mon cœur épuisé de voir couler du sang.
Tant de morts pour trouver une vive vengeance,
Tant de sang répandu pour réparer l’offense
De recevoir d’un fils, le cruel traitement !
Faites que le combat cesse rapidement.
Pardonnez à un fils qui n’est pas roi encore,
Veuillez pour la cité en adoucir le sort
Écoutez donc, Seigneur, une épouse fidèle
A qui vous infligez une douleur cruelle
CASSIUS
Je ne puis plus souffrir face à moi l’injustice
Je crois de mon devoir de combattre mon fils,
De venger mon honneur, de mener cette guerre.
Un roi ne peut parler comme parle une mère.
Je dois la tête froide et d’une ferme épée,
De votre indigne fils l’existence achever.
« Le Pauvre et le Marchand »
Un marchand qui vendait de délicieux gâteaux
Exposés sur un étalage,
Laissait la douce odeur du sucre et du pain chaud
Attirer tout son entourage
Un pauvre paysan qui n’avait point mangé
Depuis des jours avait si faim
Qu’à pleins poumons il vint se délecter des fumets
Qu’il humait là tous les matins
Le généreux marchand lui dit d’un air affable
De vouloir lui verser trois sous
Pour avoir profité de ses mets délectables
Le paysan sur un ton doux
Promis de revenir pour lui donner son dû
Le marchand fut fort contenté
Ne croyant abuser un homme assidu
Le paysan pût rassembler
Pour avoir bien joué un air de clarinette
Dix sous mis dans un pot en terre
Qu’il mena au marchand poussant la chansonnette
Le marchand crût faire son affaire
Mais il fût bien surpris lorsque pour seul paiement
Le pauvre secoua le pot
Et des sous lui fit ouïr le précieux tintement
Puis il rit et lui dit bien haut :
«Vous m’avez accordé l’odeur de vos desserts
Veuillez accepter de mes sous
La douce mélodie comme juste salaire.»
Il pût ainsi régler le coût.
Ainsi, des deux le plus cupide
Qui croyait profiter d’un simple paysan
Assurément est plus stupide
Que celui qu’il voyait comme n’étant qu’un manant.
Celui qui amasse piécettes
Ne sera pas de ceux qui l’or des autres guettent,
Mais des pousseurs de chansonnettes.
***
Pastiches de Michaël de Bonnechose
Pastiche de la chanson de geste
Les Rouennais sont aux portes de Paris,
Mais répugnant à entrer dans la ville,
Ils campent dans la banlieue, d’où ils tirent
Mainte flèche qui porte l’incendie.
Avec une lunette dernier cri
Le commandant des troupes cherche à lire
Sur le front odieux de l’Ennemi
Un signe de peur et de couardise,
Quelque oracle d’un triomphe rapide.
Mais le Parisien conserve sa mine
Impertinente, et se croit assailli
Par des bouseux venus de Bousardie.
« Bien ! Ils paieront de leur sang leur mépris.
Nous, Provinciaux, leur briserons l’échine,
Nous les fendrons de la tête au nombril,
Et nous les empalerons par le vit. »
Après ces mots notre chef a brandi
Très haut sa lance, et les guerriers s’écrient :
« Mort aux sangsues qui saignent le pays ! »
Pastiche d’un sonnet amoureux
De lui, tu peux abuser à loisir ;
Il souffre tout, tait le mal qui l’oppresse ;
Ta volonté est sienne, et sa tendresse
Le rend timide au plus fort du désir.
Moins diligent à flamber qu’à transir,
Un autre vient dont la moindre caresse
Est mieux reçue ; il se désintéresse
Aussitôt bu son content de plaisir.
L’Ordre Antonin, ma cruelle, a pour règle
D’apaiser ceux en qui l’ergot du seigle
Verse son feu malsain nuit comme jour :
Sera-t-il seul à être secourable
Au serviteur fidèle et misérable
Dont te détourne un amant sans amour ?